Entretiens avec les lauréats du Prix de la CST 2019

A l’occasion de la remise des prix de la CST le 7 novembre prochain au cinéma Max Linder Panorama, retour sur les choix techniques et artistiques des films présentés cette année au Festival de Cannes par les deux lauréats Flora Volpelière, monteuse, Julien Poupard, chef-opérateur pour Les Misérables de Ladj Ly ainsi que Claire Mathon, chef-opératrice pour Portrait de la Jeune Fille en feu, d’Atlantique et mention spéciale du Prix CST.

“Etre au service d’un film, c’est être un caméléon.” Flora Volpelière

Des désirs de mises en scène traduits en choix techniques :

  • Pour Les Misérables de Ladj Ly :

Julien Poupard : L’idée était de raconter cet endroit d’une pauvreté incroyable, la cité des Bosquets à Montfermeil, et en même temps de montrer une très belle entraide entre les gens. On avait donc un dispositif léger, caméra à l’épaule. Mais le film a aussi une mise en scène forte, avec une histoire à raconter. Il fallait donc  utiliser le réel, et en même temps, utiliser tous les moyens de cinéma pour raconter cette histoire. Il y a donc aussi beaucoup de plans très chorégraphiés au Steadicam, des plans à la voiture-travelling et même au drone.

Flora Volpelière : Je dirai qu’au montage aussi, il y avait une réalité imposante. Elle a été captée. Du coup, au fur et à mesure de la réception des rushes, la structure même du film se transformait, en termes de rythme, vers celle d’un film de fiction.

En tant que monteuse, être au service d’un film, c’est être un caméléon. Ce sont les rushes qui parlent. Il faut s’y accrocher, les suivre, avec comme indications le cadre et le jeu des comédiens.

  • Pour Atlantique de Mati Diop :

Claire Mathon : Il y a un fort travail sur la présence de l’océan dans la ville de Dakar. Les essais filmés se sont transformés en premiers plans. Il fallait en quelque sorte que l’océan fasse un trajet dans le film et qu’il devienne à la fois immense et diabolique, voire inhumain, et qu’il se mette à vivre en quelque sorte.

Mati aimait les longues et très longues focales. C’était une manière d’isoler un espace très grand et de créer une sorte de progression. Les plans étaient très variés pour regarder l’océan de multiples manières.

  • Pour Portrait de la Jeune Fille en feu de Céline Sciamma :

Claire Mathon : Pour moi,  le cinéma de Céline est un vrai cinéma de mise en scène, un cinéma de plans très précis avec un réel plaisir à raconter, à mettre en scène, le tout mu par l’émotion de l’histoire.

Le film se passe en grande partie dans un petit château du XVIIIe siècle. J’en ai suivi toutes les étapes de repérage et voulais un décor de cinéma transformable qui corresponde exactement à ce qui était écrit. Finalement, ce décor était très compliqués à appréhender et à éclairer avec d’un côté des tours et de l’autre, des douves avec des fenêtres à 8 m du sol d’un côté, à 16m de l’autre ! Avec mon équipe, nous avons dû fabriquer une grande structure du côté le moins haut qui a permis de travailler comme si on était au rez-de-chaussée pour pouvoir maitriser et éclairer cet espace.

Il fallait qu’on ait la sensation que le film montrait des visages et des carnations. Les couleurs étaient apportées par les étoffes et les robes, sans que l’on sente le décor et la lumière qui y entre. Il y a, du coup, de longs plans séquences qui balayent le décor et le font vivre.

Choisir le matériel:

  • Pour Les Misérables de Ladj Ly :

Julien Poupard : Je fais pas mal d’essais et c’est souvent des prétextes pour faire des images. J’aime beaucoup, parce qu’il n’y a pas trop de pression, on peut essayer plein de choses. Après les essais, je trouve d’autres idées et change souvent de caméra, d’optiques, de projecteurs.

Au début, on voulait tourner avec deux caméras. Mais rapidement, ça ne fonctionnait pas bien car nous étions toujours ensemble. On a donc utilisé la seconde caméra de manière hybride, pour faire des retakes et des plans documentaires de la cité. On tournait souvent tout en plan séquence, en improvisant et à l’arrivée, c’était très accidenté. Donc au montage, il a fallu redécouper une matière abondante.

  • Pour Atlantique de Mati Diop :

Claire Mathon : j’ai découvert la grande obscurité des nuits dakaroises, ses reflets, ses brillances et toute cette brume, cette humidité. Même si le film était éclairé, on voulait utiliser l’obscurité, « faire des nuits extra-lucides » car le film a aussi une histoire de fantômes et de possédés. Il nous fallait une caméra très sensible et j’ai fait des essais avec la Varicam 35, qui permet de tourner à 5000ASA. On a constitué un duo de caméra qui racontait des choses différentes pour la nuit et pour le jour.

  • Pour Portrait de la Jeune Fille en feu de Céline Sciamma:

J’ai cherché jusqu’au bout la couleur du feu, dans un mélange d’essais, de niveaux, avec cette envie d’éclairer les visages, de faire exister des flammes, mais aussi de donner l’illusion que les bougies éclairaient la scène. J’ai fait des essais en 35mm car je pensais que les flammes et les bougies y seraient plus belles, qu’il  y aurait plus de matière. Le film s’est finalement tourné en numérique et j’y ai retrouvé ce que j’avais cherché en 35mm. J’ai beaucoup éclairé, du coup, sans utiliser la lumière des bougies. Mais il fallait qu’elles soient un élément marquant, qu’elles aident au rapport à l’incarnation que le film veut montrer.

Retrouvez les vidéos des interviews « hors-champ »  de Flora Volpelière & Julien Poupard ainsi que celle de Claire Mathon ici :