Shin Joom-hee, directrice artistique de Burning, prix Vulcain 2018

Acclamé par le public cannois, plébiscité par la critique, Burning, du réalisateur Lee Chang-dong, est l’un des grands absents du 71e palmarès du Festival de Cannes.

Pour Alain Besse, Isabelle Gibbal-Hardy, Vincent Lowy, Aline Rolland, Louise Van de Ginste, et moi à leurs côtés pour attribuer le prix Vulcain de l’artiste-technicien, c’eût été le candidat idéal au plus prestigieux des prix. Tout comme pour Pierre-William Glenn, qui sait nous réunir pour travailler à l’avenir du cinéma et de ceux qui le font.

Le jury était souverain et le cru 2018 de grande qualité, couronnant à travers Hirokazu Kore-eda la puissance créative du cinéma asiatique. Ne boudons pas notre plaisir : la Palme d’or aura su emporter notre adhésion.

LE PRIX VULCAIN 2018

Notre choix était donc autre. En honorant Burning et la subtile direction artistique de Shin Joom-hee, le prix Vulcain rend néanmoins justice à cette heureuse fécondité. Le jury aurait aussi bien pu récompenser la photographie de Hong Kyung-pyo qui s’approprie avec brio les nuances et le clair-obscur. Et nous offre une scène d’une grâce bouleversante lorsque Haemi danse à contre-jour, au crépuscule littéral de son innocence.

Exaltant l’imagination, le film explore les sentiments amoureux et passionnels, se fait l’écho de dérèglements, entre jalousie et rivalité. Et la manière dont Lee Chang-dong et Shin Joom-hee caractérisent leurs personnages, dans leur environnement, le tréfonds de leur âme, est remarquable.

Une Affaire de famille de Kore-eda, où la douleur et l’amertume se mêlent inlassablement à l’amour et à un profond humanisme, partage de nombreuses similitudes avec Burning. En premier lieu, ce réalisme magique, cette temporalité contemplative où le quotidien devient merveilleux, dans la banalité d’un geste, d’un échange… Également cet art de l’ellipse qui en dit beaucoup des attentes meurtries, d’une mélancolie où sourd le désespoir.

Burning est un théâtre de l’illusion, où l’absence devient métaphore. Celle d’une société traversée par le doute et la solitude, maux actuels de la Corée du Sud, une société déshumanisée et individualiste, minée par un rapport existentiel au travail et une stratification sociale toujours aussi prégnante.

Car derrière le mystère et l’implicite pointe le substrat politique, une critique du capitalisme, où la représentation des classes sociales est pervertie. En atteste l’obligeance contrefaite de Ben, le nanti qui semble se jouer de Jongsu et Haemi.

Burning est inspiré des Granges brûlées, une nouvelle d’Haruki Murakami, si caractéristique d’une œuvre littéraire qui oscille entre réalité et onirisme, esquisse le malaise sous la normalité, explore ces fameux « seconds sous-sols » de l’âme. Lee Chang-dong s’en est attribué la potentialité cinématographique pour nous livrer une œuvre lumineuse et labyrinthique. Comme une invitation laissée au spectateur, celle de cheminer au gré des béances de la narration, d’un hors-champ qui, subtilement, insidieusement, vient nous hanter. Et pour longtemps.

Hanté par le cinéma… Étrange sentiment qui est aussi, avouons-le, un privilège. Car au-delà des projections, du travail complexe d’analyse et des discussions animées qui mobilisent le jury dans son expression plurielle, le prix Vulcain est une expérience, une clé de lecture passionnante de la grammaire cinématographique. Grâce soit rendue à Moïra Tulloch d’avoir su nous accompagner avec sa bienveillance coutumière, nous offrant le confort d’un temps suspendu durant cette quinzaine frénétique, pour mieux exercer notre responsabilité.

Par Patrick Bézier, Directeur général d’AUDIENS.